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Force majeure et COVID-19

Ces deux notions voisines étaient laissées à l’appréciation des magistrats.
Le Code civil, dans sa version de 1804, a admis qu’« Il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure (événement externe au débiteur : intempérie, guerre, séisme, etc.) ou d’un cas fortuit (événement interne au débiteur, en ce sens qu’il se rattacherait à l’activité qu’il exerce : incendie dans les locaux de l’entreprise, grève, maladie, etc.) le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit » (ancien article 1148 C.Civ)

Il a fallu attendre l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats pour que la force majeure soit définie par la loi à l’article 1218 du Code civil. 

Les critères de la force majeure

La force majeure est donc caractérisée lors de la réunion de trois critères :

  • l’imprévisibilité : elle doit s’apprécier au jour de la conclusion du contrat. En effet, si l’événement était prévisible au moment de la formation du contrat, le débiteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation ;
  • l’irrésistibilité : événement doit être irrésistible tant dans sa survenance (c’est-à-dire qu’il doit être inévitable) que dans ses effets (c’est-à-dire qu’il doit être insurmontable) ;
  • l’extériorité : le terme n’est pas repris dans l’article 1218 du Code civil, toutefois le cas de force majeure est un « événement échappant au contrôle du débiteur ».


Les conséquences de la force majeure

Le Code civil envisage les conséquences de la force majeure, en distinguant selon le caractère temporaire ou définitif de l’empêchement (article 1218, alinéa 2 du Code civil) :

  • empêchement temporaire : l’exécution de l’obligation sera suspendue sauf si le retard en résultant justifie la résolution du contrat (exemple : une prestation ne pouvant être délivrée utilement à un jour autre que celui déterminé pour un événement non reportable) ; 
  • empêchement définitif : le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs engagements dans les conditions des articles 1351 et 1351-1 du Code civil.


La clause de force majeure dans les contrats

En matière contractuelle, il est possible d’aménager la force majeure au travers d’une clause :

  • Lorsque le contrat ne fait aucune référence à la force majeure : il faudra se référer à la définition du Code civil et à la réunion des trois critères susvisés.
  • Lorsque le contrat comporte une clause de force majeure, il faudra être vigilant quant à sa rédaction :

– soit la clause reprend la définition de la force majeure telle que mentionnée dans le Code civil, ainsi il faudra que les trois critères soient réunis ;
– soit la clause vient qualifier et préciser les cas de force majeure : les parties ont entendu prévoir que tout ce qui n’est pas mentionné dans la clause est exclu de la force majeure (par exemple une clause ne prévoyant pas le cas d’une épidémie : la personne qui ne peut pas réaliser sa prestation ne pourra pas arguer d’un cas de force majeure en cas d’épidémie).


COVID-19 et force majeure

ATTENTION : La qualification de la force majeure relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et une épidémie ne constitue pas automatiquement un cas de force majeure (dengue, chikungunya, H1N1 : les juges ont, selon les cas, reconnu un cas de force majeure ou non). 

Quelques exemples que vous pouvez rencontrer actuellement : 

  • suspension des travaux : depuis la publication du décret n°2020-260 du 16 mars 2020, la quasi-totalité des chantiers ont été arrêtés en France. Les sous-traitants et fournisseurs peuvent se trouver dans l’impossibilité d’exécuter leurs prestations. Nous vous conseillons de contacter vos partenaires et prestataires afin de prendre acte de la situation de force majeure et que ces derniers vous alertent sur d’éventuels retards dans les études et la réalisation de vos travaux compte tenu de la situation actuelle.
  • suspension du paiement des loyers : Pour rappel, votre obligation principale est le paiement des loyers.  – Le 16 mars 2020, le président de la République a annoncé le report du paiement des loyers, factures d’eau, de gaz et d’électricité. Cette déclaration a été encadrée par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 qui autorise le gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers au bénéfice des microentreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie (Art 11). C’est dans ce cadre que l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 est venue préciser que le défaut de paiement de loyer ne pourra pas être sanctionné lorsque les preneurs  sont des « personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité » (à définir par décret, mais l’on sait que cela concerne les TPE réalisant un CA annuel inférieur à 1 million d’euros, ayant des bénéfices net imposables inférieurs à 60 000 € et qui soit ont fait l’objet d’une fermeture administrative, soit ont subi une perte de 70 % de leur CA en mars 2020 par rapport à mars 2019). Cette mesure particulière concerne les loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. – A contrario, rien ne justifie pour les autres catégories de locataires, le non-paiement des loyers, sauf accords spécifiques entre bailleurs et preneurs (ex : le 20 mars 2020 les principales fédérations de bailleurs ont appelé leurs membres à suspendre les loyers pour l’échéance d’avril et pour les périodes postérieures d’arrêt d’activité imposées par l’arrêté du 15 mars 2020 au profit de certaines TPE et PME).  – Néanmoins, vous pouvez essayer de vous rapprocher amiablement du bailleur et de convenir d’un commun accord d’un échelonnement du paiement des loyers voire à une suspension de ceux-ci. 

Les établissements bancaires restent ouverts, vous avez donc toujours la possibilité d’effectuer des ordres de virement afin de régler le loyer à ses échéances. La force majeure ne vous empêche pas d’exécuter votre obligation principale.

  • Report de la prise d’effet du bail :– pour les baux signés avant le 16 mars 2020 et devant prendre effet après cette date, dans la mesure où les clefs ne vous ont pas été remises et que vous êtes dans l’incapacité d’entrer dans le local, l’exécution du contrat de location se trouve donc suspendue par la force majeure et ce jusqu’à ce que les mesures de confinement soient levées. La suspension du bail vous exonérerait de vos obligations contractuelles, notamment du paiement du loyer et le bailleur ne pourra, à notre avis, vous réclamer une quelconque indemnité. – pour les contrats signés après le 16 mars 2020, la force majeure ne peut plus être invoquée et vous serez redevable des loyers et des charges à compter de la date de prise d’effet du bail (sauf aménagements contractuels avec le bailleur) 
  • Congé et déménagement du preneur : en l’état actuel des choses et avec l’obligation de confinement imposée par le gouvernement le 16 mars 2020, il est difficilement envisageable de procéder à un état des lieux de sortie, à un déménagement. Ainsi, face à l’impossibilité matérielle de prendre possession des locaux ou de déménager, le débiteur semble pouvoir invoquer la force majeure afin d’obtenir des délais supplémentaires.

[Tanguy QUEINNEC – MRICS
Directeur juridique
CBRE France]

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